關(guān)鍵詞:法國;新冠肺炎;疫情;安全議程化;封控
中圖分類號 D73/77 文獻(xiàn)標(biāo)識碼 A 文章編號 2096-4919(2024)01-0001-08
Le 16 mars 2020, à l’occasion d’une allocution télévisée solennelle annon?ant le début du confinementde l’ensemble de la population fran?aise pour faire face à l’épidémie de Covid-19, à l’instar de plusieursautres pays européens, Emmanuel Macron a répété à six reprises la formule ? nous sommes en guerre ?a.Des mots forts qui rappellent ceux de Georges Clemenceau pendant la Première Guerre mondiale ou, plusrécemment, de George W. Bush après les attentats du 11 septembre 2001 avec l’appellation ? War on Terror ?.Si ce discours doit être contextualisé et analysé dans sa dimension politique, compte tenu des interrogationsconcernant l’ampleur de la pandémie au printemps 2020 et de l’absence de réponses médicales qui étaientalors adaptées, il témoigne également d’un processus de sécuritisation face à une vulnérabilité identifiée,celle-ci s’inscrivant dans le champ des études de sécurité.
Le procédé de sécuritisation mis en place par le chef de l’Etat fran?ais s’est inscrit sur le long terme,notamment quand il annon?a que ? la pandémie de Covid-19 a bouleversé nos vies, nos sociétés, a mis nos"économies à l’arrêt, a aussi révélé nos vulnérabilités à tous ?b. Le 18 mai 2020, Emmanuel Macron s’adressaà l’Assemblée mondiale de la Santé, et redéfin?t l’ennemi mena?ant la sécurité des Etats. Par cette adresse,Emmanuel Macron fit le choix de définir une menace globale, qui ne mettait pas seulement la France enpéril, mais aussi tous les autres Etats. Sur le site de l’Elysée également, dans le dossier dédié au Covid-19,on retrouve des termes tels que ? seule une victoire totale, incluant pleinement l’Afrique, pourra venir àbout de cette pandémie ?c. Par l’utilisation de ce discours de sécuritisation, partagé notamment par l’Unioneuropéenne et l’emploi de termes similaires, les Etats décidèrent de lutter ensemble contre une menace nonpas militaire, mais sanitaire, et l’emploi de ce discours semble être un outil pour regrouper les peuples face àune menace commune. Il s’agit donc d’un processus de sécuritisation en partie concerté avec des partenairesextérieurs, dont l’impact dépasse les frontières nationales et qui a vocation à être étendu à échelle régionale,voire internationaled. Mais il n’en demeure pas moins le résultat d’une perception des pouvoirs publics.
Les études de sécurité ont considérablement évolué au cours des trois dernières décennies et se sontenrichies de nouveaux acteurs, de nouvelles grilles de lecture et de nouveaux enjeux. La définition de lasécurité fut même sujette à de multiples interprétations, qui se retrouvent généralement autour de la questionde l’identification de vulnérabilités et des mesures adoptées par différents acteurs afin d’y apporter desréponses. Ainsi, ? la sécurité et l’insécurité sont définies en relation avec les vulnérabilités – à la fois eninterne et à l’international – qui menacent ou ont la capacité d’éliminer ou affaiblir les structures de l’Etat,que ce soit son territoire ou ses institutions, et le gouvernement ?e. Dans le même temps, et en oppositionavec la traditionnelle sécurité nationale, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD)a donné en 1994 une définition de la sécurité humaine, qui signifie ? premièrement la sécurité face à desproblèmes chroniques tels que la faim, la maladie ou la répression. Deuxièmement, elle signifie la protectionface à des bouleversements soudains et douloureux de nos habitudes de vie ?f. La sécurité sanitaire, etnotamment la protection face aux pandémies, fait donc partie intégrante de cette dernière définition, dont ilconvient de noter qu’elle est de manière volontaire très large, afin précisément d’inclure différents scénariosdans lesquels les populations pourraient être exposées à des problèmes sécuritaires.
Dans ce contexte très particulier dans lequel pandémie mondiale cohabite parfois difficilement avecurgence nationale, la compréhension de la vulnérabilité et du processus de sécuritisation s’impose pour saisircomment se formule un discours politique et se mettent en place des mesures exceptionnelles pour faire faceà une crise majeure.
Au niveau théorique, l’approche réaliste axée autour de l’identification d’un système internationalanarchique s’est trouvée confrontée à plusieurs écoles disputant une approche mal adaptée aux nouvellesréalités, trop centrée sur le r?le de l’état et trop souvent limitée aux questions militaires. L’approche libéralemettant en avant le r?le des institutions internationales et une vision normative de la sécurité s’est heurtée àla résilience des comportements nationaux et aux rivalités entre puissances et acteurs étatiques. Par ailleurs,ces grands courants de pensée restaient trop antinomiques dans leur approche des acteurs au centre de lasécurité internationale, et devaient s’adapter à un contexte et à des comportements nouveaux. On note,? depuis la fin de la guerre froide, une accélération des réflexions théoriques sur le concept de sécurité ?g.Aux écoles réaliste et libérale se sont ainsi ajoutées une école critique et une école constructiviste,cette dernière étant désormais souvent considérée comme la plus influente dans les études des relationsinternationales en général, et de sécurité en particulier. C’est surtout l’ouverture vers les théories des sciencessociales comme grille de lecture de la sécurité contemporaine qui a été au centre de ces évolutionsh.
Dans le contenu, partant du postulat qu’elle peut être construite, et donc transformée, les constructivistess’opposent notamment aux réalistes sur la définition de la sécurité, qu’ils ne considèrent pas comme ? undérivé de la puissance ?i. Ole Waever donne ainsi une définition de la sécurité, partant du principe quel’on ? peut considérer la sécurité comme ce qui est appelé dans la théorie du langage un acte du discours.C’est la prononciation elle-même qui est l’acte. En disant “sécurité?, un représentant de l’état déplace le casparticulier dans un espace défini, et par là même exige un droit spécial de faire usage de tous les moyensnécessaires pour en neutraliser les effets ?j. On parle alors ici de sécuritisation, qui peut se traduire par uneforme extrême de la ? politicisation ? ou de la construction d’un événement en tant que problème politique,ce qui justifie de faire appel à des moyens extraordinaires afin de répondre au besoin identifié et, par voie deconséquence, un renforcement de la sécurité. La sécuritisation ? séduit de nombreux chercheurs grace à cetteaptitude unique à concilier – avec plus ou moins de succès – des courants théoriques a priori peu compatibleset à éclairer de manière originale les questions de sécurité les plus diverses ?k. Parmi celles-ci, on peut fairemention de la réponse aux attaques terroristes, mais aussi des politiques migratoires ou encore des enjeuxenvironnementaux. Sur ces différents sujets, qui viennent s’ajouter à la sécurité militaire et aux enjeuxéconomiques, le processus est identique, à savoir l’énoncé d’une vulnérabilité à laquelle doivent répondre desmesures. La référence à la guerre se retrouve également dans ces différents cas.
La formule ? nous sommes en guerre ? d’Emmanuel Macron, qui ne s’appuie pas tant sur des critèresobjectifs et indiscutables – ? qu’est-ce que la guerre ? ?, pourrait-on ainsi répondre – que sur la justificationde mesures exceptionnelles pour neutraliser une vulnérabilité, en est un parfait exemple. Déjà en septembre2001, les propos similaires de George W. Bush en réponse aux attaques terroristes de New York et Washingtonpouvaient être discutables sur le fond – la ? guerre contre le terrorisme ? mérite-t-elle d’être qualifiée commetelle ? –, mais constituaient des éléments de langage indispensables pour justifier des mesures exceptionnellesl.Parmi celles-ci, l’invasion de l’Afghanistan et l’adoption du Patriot Act au Congrès, sans qu’aucune voixdissonante ne soit autorisée, sinon à être qualifiée d’antipatriotique. La ? guerre ?, en effet, n’autorise pasle débat et les oppositions, et l’on voit dans l’exemple de 2001 et celui de 2020 qu’elle ne se limite plus auxaffaires militaires. Car derrière la guerre et son invocation, c’est le champ de la sécurité qui s’est étendu.
Dans leurs travaux, les constructivistes proposent d’étendre le champ des études de sécurité enincorporant des composantes qui n’étaient pas jusqu’à la fin de la guerre froide considérées comme recevablesou suffisamment pertinentes, en partant du postulat que ? le stade ultime de la sécurité est la survie, maiselle inclut également raisonnablement un nombre conséquent d’interrogations concernant les conditions del’existence ?m. L’identification de la sécurité humaine par les Nations unies répondait au même besoin.
Les constructivistes poussèrent cependant l’analyse des différentes composantes de la sécurité. C’estainsi qu’aux c?tés de la sécurité militaire, les réflexions sur la sécurité régionale, la sécurité économique,la sécurité environnementale et la sécurité sociétale firent leur apparition chez plusieurs auteurs attachés àl’école de Copenhague ou inspirés par ses travaux, et se sont développées de manière importante depuis deuxdécennies. On relève ainsi des analyses qui dépassent cette approche, notamment celles des constructivistescritiques, comme l’école de Paris, qui mettent l’accent sur les discours et les facteurs sociologiques quiproduisent les identités, les intérêts et les pratiques qui fa?onnent la sécurité. Cette approche ? se fonde surle postulat selon lequel les énoncés de sécurité possèdent une capacité transformatrice et examine commentcette capacité est déterminée dans un contexte social donné ?n.
L’importance du contexte social est particulièrement marquée sur certaines composantes – ou secteurs –de la sécurité, notamment environnementale, politique ou sociétale. Dans le cas de cette dernière, nous pouvonsmême considérer que l’énoncé de sécurité est profondément déterminé par des groupes sociaux, voire l’ensemblede la société, et pas uniquement par l’état. Parmi les différents exemples, nous pourrions citer la décision prisepar la chancelière allemande Angela Merkel de mettre fin à l’industrie nucléaire en Allemagne, immédiatementaprès la catastrophe de Fukushima au Japon en mars 2011. Cette décision répondait à un certain contexte et à"des pressions sociales plus qu’à un examen approfondi de ses conséquences. Dans le contexte de la réponseà la crise sanitaire du Covid-19, tous les chefs d’état et de gouvernement européens ont annoncé des plansd’urgence économique et socialeo, ce qui s’inscrit également dans la nécessité de faire écho aux pressionsdans la société, là où leur négligence aurait sans doute des conséquences politiques lourdes.
L’école de Copenhague a considérablement élargi le concept de sécurité, et voit dans cette dernière uneconstruction sociale. Ce qui est identifié comme une menace existentielle, et justifie une réponse qualifiée desécuritisation, est donc purement subjectifp. Plusieurs acteurs, de l’état à la société civile, influencent cettesubjectivité et jouent, dès lors, un r?le dans le processus de sécuritisation pouvant varier selon l’évaluationd’une menace existentielle – la vulnérabilité – ou la marge de manoeuvre de ces différents acteurs. Ainsi, quellesdoivent être les priorités dans la formulation de politiques sécuritaires, sinon celles qui ont été définies par lespouvoirs publics, en tenant compte des différents acteurs de la société autant que des attentes ?
C’est cependant surtout dans l’identification de cinq composantes de la sécurité que les constructivistesse sont le plus nettement démarqués des réalistes, en interprétant la perception de l’insécurité et laformulation de réponses appropriées pouvant différer selon l’appartenance à ces différentes composantes.L’intérêt principal de cette nouvelle désignation se trouve dans l’intégration des menaces non militaires à lasécurité. à cet égard, l’étude de la sécurité sociétale, principal apport des constructivistes – avec la sécuritéenvironnementale –, est novatrice en ce qu’elle introduit la notion de survie identitaire, en incorporant desréflexions sur l’immigration, l’appartenance ethnique, religieuse ou culturelle des sociétés ou de groupesà l’intérieur d’une sociétéq. Cette analyse s’avère précieuse dans un contexte post-guerre froide pourcomprendre les conflits infraétatiquesr, l’apparition d’une violence liée aux questions migratoires ou à desréférents identitaires, et même à plusieurs égards certaines caractéristiques et justifications du terrorisme etdes mesures de contre-terrorisme ou d’antiterrorisme qui l’accompagnents. La sécurité sanitaire, liée auxépidémies – nationales autant que des pandémies mondiales comme le Covid-19 –, trouve également saplace dans la sécurité sociétale, en ce qu’elle impose des mesures de sécurité formulées dans le processus de"sécuritisation, qui s’imposent à l’ensemble de la société ou à des zones ou des individus en particuliert.
Cette désignation permet de comprendre quels sont les leviers pouvant être activés dans un processusde sécuritisation, et quels moyens sont utilisés pour répondre à la menace identifiée. Dans le cas de la crisedu Covid-19, ces moyens sont économiques, avec des plans de sauvetage et de soutien aux secteurs les plusaffectés ; juridiques, avec le confinement et les interdictions de sorties non autorisées ; policiers, avec lescontr?les ; et évidemment médicaux, avec les mesures d’urgence visant à réduire la propagation du virus et àsoigner les maladesu.
En énon?ant un discours sécuritaire par la formule ? nous sommes en guerre ?, le chef de l’étatfran?ais a mis en avant un contexte exceptionnel et annoncé des mesures adaptées, la plus importante étantle confinement de la population et la limitation de toutes les activités économiques jugées non vitales. Ilconvient d’abord d’indiquer que, s’il s’agit là de mesures que l’on pourrait qualifier d’autoritaires, car nondébattues et validées par le Parlement, elles répondaient avant tout à une attente de la population, soucieusede voir le gouvernement incarner une réponse claire, rapide et efficace face à la crise. Pour autant, et endépit du fait qu’elles furent suggérées par un conseil scientifique, ces mesures ne sont précisément pas? scientifiques ?, puisque l’on relève notamment qu’elles ne sont pas identiques et parfois même divergentesd’un état à l’autre, y compris à l’intérieur d’un espace intégré comme l’Union européenne (UE). Elles ont parailleurs été disputées, y compris dans les milieux scientifiques et médicaux, et soulevèrent des interrogationsquant aux liens entre décideurs politiques et milieux scientifiquesv.
En formulant un discours sécuritaire annonciateur de mesures importantes, le président fran?ais a surtoutimposé le monopole de l’état dans la réponse à la crise sanitaire, et appelé à une union nationale afin d’enrenforcer l’efficacité. Cette sécuritisation lui a permis de disposer de pouvoirs élargis afin de gérer au mieuxla crise, sans avoir à rendre des comptes immédiats aux parlementaires. En ce sens, la sécuritisation est unavantage en ce qu’elle offre à celui qui la formule une légitimité et la garantie de pouvoir mettre en place lesmesures qu’il a identifiées comme nécessaires. Ainsi, face au Covid-19, le chef de l’exécutif fran?ais a puengager tous les services de l’état, mais aussi des moyens financiers et humains, sans qu’il lui f?t nécessairede faire valider ces décisions par le pouvoir législatif w. Cette ? présidence impériale ?, selon la formule"consacrée aux états-Unisx, est le résultat de ce processus de sécuritisation, et permet une grande rapidité etefficacité dans la réponse au défi sécuritaire énoncé.
La sécuritisation comporte aussi des inconvénients, en particulier une fois que les mesures sécuritairesdoivent être levées, et que doit s’engager un processus de dé-sécuritisationy. D’abord, quels élémentsobjectifs peuvent justifier cette démarche, à savoir la formulation des mesures permettant de désengager lesmoyens, exceptionnels ou non, qui ont été déployés ? La dé-sécuritisation répond aux mêmes impératifs quela sécuritisation, à savoir qu’elle doit être acceptée par l’auditoire, et ainsi appara?tre comme incontournable.Dans la crise du Covid-19, cette question fut particulièrement sensible en ce qui concerne des questions tellesque la fin du confinement ou la réouverture des frontières. Ensuite, dès lors que la crise est officiellement? passée ?, car énoncée comme telle dans le discours de dé-sécuritisation, le retour à une vie politique? normale ? peut-il se traduire par des critiques sur la gestion de la crise ? Celui qui assume la sécuritisationdoit en effet aussi en assumer les potentielles conséquences. Enfin, et sur ce point, la crise du Covid-19est particulièrement éclairante, les questions demeurent quant à la pertinence de hisser au rang de menacemajeure une vulnérabilité dont il est difficile d’évaluer tant la portée que la véritable menace. Ainsi, unefois la crise passée, les conditions dans lesquelles la sécuritisation a été formulée doivent faire l’objet d’unexamen approfondi, et peuvent en certains cas se retourner contre l’autorité qui en a été à l’origine. Lasupposée menace irakienne, justifiant une invasion en 2003, en est un bon exemple, tant le soutien à cetteinitiative est devenu un véritable repoussoir aux états-Unis quelques années plus tard. Dans le cas de la crisedu Covid-19, le fait de savoir si les mesures ont été prises trop tard, ou si elles ont au contraire été le résultatd’une surestimation de la pandémie et de ses effets, reste à déterminer. La sécuritisation est associée à laresponsabilité, et donc en certains cas à la tentation de rejeter celle-ci sur d’autres acteurs de la sécurité, ouau contraire à s’accaparer le discours sécuritaire. Elle est également liée à une prise de risque, pouvant aussisignifier le refus d’en prendre le moindre, et ainsi de surévaluer la vulnérabilité. Derrière ces interrogations,la question du sens à donner à la sécurité doit être posée. On peut citer ici Arnold Wolfers : ? dans un sensobjectif, la sécurité mesure l’absence de menaces pesant sur les valeurs acquises ; dans un sens subjectif, elledésigne l’absence de peur que ces valeurs soient attaquées ?z.
La sécuritisation face au Covid-19 impose enfin des interrogations sur l’opposition entre le conceptlibéral de sécurité humaine et l’approche réaliste de la sécurité nationale. Ces questions, qui divisent depuisla fin de la guerre froide, feront l’objet de nombreuses études, et sans doute l’idée que la sécurité nationalea fait un retour fracassant dominera les débats. Parmi les nombreuses définitions de cette dernière, nousretiendrons pour sa simplicité celle de Giacomo Luciani, pour qui ? la sécurité nationale, c’est la capacité de"résister à toute agression étrangère ? ヒ. Le r?le de l’état est ici mis en avant, par son autorité et sa légitimité.Ainsi, selon Bill McSweeney, ? l’état est l’instrument de sécurité et les individus en sont les sujets ? フ. Cettecitation est certes discutable, mais n’en demeure pas moins vérifiée dans le cas de la crise du Covid-19. Endépit de l’existence d’instances internationales spécialisées, Organisation mondiale de la santé (OMS) en tête,et malgré des alertes successives depuis plusieurs années annon?ant l’imminence d’une pandémie mondialeet l’impératif d’y apporter des réponses internationales ヘ, ce sont les chefs d’état et de gouvernement qui ontformulé un discours sécuritaire, parfois sans réelle concertation les uns avec les autres, et avec pour objectifprioritaire et quasi exclusif de contenir la crise au niveau national. La seule exception à cette pratique, presquesymbolique, a concerné la décision de l’UE de ne plus imposer le pacte de stabilité, adoptée le 17 mars 2020,ce qui libérait ainsi les états membres des contraintes budgétaires de la Banque centrale européenne. à partcette initiative et des gestes de solidarité internationale très, sinon trop, limités, les états ont appliqué demanière souveraine les politiques de sécurité que leurs dirigeants ont choisies et défendues.
La question de savoir si la sécurité sociétale reste la propriété des états mérite ainsi d’être posée, enparticulier dans le cas d’une crise internationale, qui rend plus difficile le soutien de la part d’autres états,eux-mêmes exposés à une crise similaire. La coopération internationale et la fraternité furent les grandesperdantes parmi les réponses apportées à cette pandémie, qui a mis en avant les vulnérabilités des organisationsinternationales autant que celles des états. Cependant, compte tenu de l’ampleur de la crise et du fait que lesorganisations internationales avaient alerté les états sur la nécessité d’y apporter une réponse concertée, qui aprécisément fait défaut dans le cas de la pandémie de Covid-19, il ne faut pas exclure l’argument selon lequelseule une organisation disposant de véritables pouvoirs décisionnels – sorte d’OMS mais avec la capacité decontraindre les états à respecter ses normes – pourrait être en mesure d’éviter une nouvelle pandémie. Aprèstout, la Seconde Guerre mondiale fut l’aboutissement du triomphe des nationalismes et des déroutes d’unesécurité pensée de manière concertée et coopérative, mais par son ampleur destructrice elle permit aussi lacréation de nouvelles instances internationales. Si cette crise présente, à première vue, les signes d’une déroutede la sécurité humaine et marque la consécration de la sécurité nationale, la responsabilité des états dans unesécuritisation peu appropriée et qui s’est en plusieurs circonstances avérée inadaptée – excessive ou au contraireinsuffisante – pourrait in fine complexifier cette analyse.
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